Monday, July 15, 2013

Trucs Culturels: La (Dé)mondialisation Vue D'Allemagne

Trucs culturels: La (Dé)mondialisation vue d'Allemagne
Saxonie, Allemagne de l'Est

écrit par Blaue Narzisse
Traduit de l’allemand, recherché et documenté par Paul-Vincent Hubert



Trucs culturels
La mondialisation piétine, la Chine entretient son "armée silencieuse" et un désir de durabilité. La  décélération est en passe de devenir un  substitut de religion.

Karin Kneissl a travaillé pendant longtemps en tant que diplomate et reste considérée comme une experte en droit international. Aujourd'hui, elle travaille en tant que journaliste et auteure. Tout en contraste avec de nombreux analystes contemporains, il postule dans son dernier livre, « Le monde fragmenté. Ce qui reste de la mondialisation » que la mondialisation progressive n’est pas l'intégration de vastes zones géographiques mais plutôt morcellement et fragmentation. La domination de l'Occident tend à sa fin. Les langueurs nécessaires à surmonter les lignes de fractures ethniques et religieuses ont conduit à la désintégration des États et des systèmes politiques, ce qu’ont montré les exemples récents en Syrie ou en Irak. « Tout s’écroule ensemble », dit l'auteur.

Mais la tendance à ces problèmes de fragmentation demeure non seulement  aux niveaux gouvernementaux et politiques, mais également dans le tissu traditionnel de la société qui s’effrite. «Où sont les traditions ? Où est la cohésion familiale ?», fait-elle part à un entretien avec la radio Allemande « Deutschlandfunks ». Kneissl n'est pas pessimiste, mais elle est sceptique quant à la grande vision d’un monde uni. Elle pointe du doigt la spatialité (utilisation de l’espace) et la manœuvrabilité (liberté de choix), avec tous les risques et opportunités associés.

Karin Kneissl: Die zersplitterte Welt. Was von der Globalisierung bleibt  (Le monde éclaté. Ce qui reste de la mondialisation). Editions Braumüller Lesethek, 288 pages, € 21,90.

L’effet secondaire de l'émergence de nouvelles puissances et l'éclatement de l’équilibre mondial polarisé est également prouvé par les journalistes espagnols Juan Pablo Cardenal et Heriberto Araujo. Ils montrent comment la Chine par des moyens pacifiques prend le contrôle dans les pays en développement et développent des structures néocoloniales. Les entreprises chinoises sont impliquées dans des projets et des entreprises à travers le monde, notamment pour exemple plus de 300 projets de barrages dans 66 pays. Les banques chinoises se constituent en généreux créanciers. Les projets d'infrastructures sont ainsi facturés en tant que «partenaires» - contre l’exploitation presque exclusive des ressources et des matières premières en contrepartie. Ce modèle, les auteurs l’ont identifié lors de leur voyage dans plus de 25 pays, où ils ont visité des projets et des entreprises et discuté avec des gens sur le terrain.

Juan Pablo Cardenal / Heriberto Araujo: China’s Silent Army — The Pioneers, Traders, Fixers and Workers — Who Are Remaking the World in Beijing’s Image (L’armée silencieuse de la Chine - les pionniers, les traders, les cantonniers et les travailleurs – ce qui refont le monde à l'image de Pékin). Editions Crown Publishing Group, 350 pages, € 28,50.

Parce que la dynamique du monde moderne est trop difficile à gérer, les gens cherchent dans les pays occidentaux des valeurs persistantes. L’auteur Andreas Möller en est convaincu. Les gens pensent que la nature, la durabilité, la stabilité, la sécurité ou la décroissance sont des valeurs certaines. Il faut arrêter de dire que la nature est en constante évolution, ou prétendre que c’est une affaire de survie mais pas une question de décroissance. De cette manière, une religion de substitution qui n'a rien à voir avec le souci rationnel de son propre environnement. « Au début, il s’agissait de la protection spécifique des biotopes particuliers dans les années 1980, mais le discours public d'aujourd'hui est complètement dominée par le débat sur le climat » dit Möller. La protection du climat est incompatible avec la protection de la nature et de l'environnement, par exemple dans l'industrialisation irréfléchie du paysage de production, d'une part par les éoliennes, d'autre part par les installations de biogaz qui rendent nécessaires la monoculture. La protection de nature et celle du paysage sont accessoires, la protection des espèces compte à peine plus. Une étude a montré que les Allemands, qui dominent la vague prisée des nouvelles énergies comme une auto-revendication de « pionniers », ne vivent pas forcément plus « soutenables » ou « écolos » que les gens d'Europe du sud-ouest, où les bus sont pleins et circulent depuis 30 ans, où il y a moins de ménages à une personne et où les gens vivent ensemble dans des familles élargies.

Andreas Möller: Das grüne Gewissen. Wenn die Natur zur Ersatzreligion wird.  (La conscience verte. Si la nature remplaçait la religion) Editions Carl Hanser, 264 pages, 17,90 €


Définition encyclopédique de la décroissance (économie) :


Thursday, July 11, 2013

Stanciova : Une ferme où les étrangers travaillent gratuitement

Stanciova : Une ferme où les étrangers travaillent gratuitement

Un vaste réseau international dans des dizaines de pays propose d'aider bénévolement des agriculteurs biologiques.

Écrit par Radu Catalin.
Traduit du roumain, recherché et documenté par Paul-Vincent Hubert.

Crédit Photo: Sebastian Tataru





Stanciova, à la ferme pour huit jours de travail qui commencent à six heures du matin. Trois Canadiens apportent des récipients en plastique à la pompe à côté de l'école, et un quatrième, venu d´Autriche en Roumanie spécialement pour ramasser du foin pour les animaux. C'est son activité préférée. En Roumanie, la plupart des gens issus des zones rurales les fuient au profit des villes. Pour eux, voir des étrangers de tous les continents participer au fauchage et au désherbage reste inexplicable.

En fait, c'est assez simple. D´un côté, il y a les partisans de l'agriculture biologique ou traditionnelle, où le travail est dur, mais vous donne satisfaction immédiate. De l´autre, une multitude de gens venant de pays beaucoup plus « avancés » que la Roumanie, n´y trouvent pas de telles initiatives, et n´ont pas envie de drones télécommandés.

La maison va fêter ses cent ans.

Les propriétaires de la ferme ont choisi le réseau WWOOF Roumanie (World Wide Opportunities on Organic Farms,  "Opportunités mondiales pour l'agriculture biologique"), depuis quatre ans près de Timişoara, à Stanciova. Les 30 kilomètres de route vers le village, après avoir traversé les collines striées des vignobles de Recaş, vous mènent sur une route rurale avec limitation de vitesse auto-imposée à 20 kilomètres par heure vers Stanciova.

Parmi les 400 âmes du village, la maison a été créée en 2009 par Teodora Borghoff. Mieux connue pour son rôle en tant que présidente du projet de «Timişoara, Capitale Européenne de la Culture 2021“, elle a décidé de se retirer  au calme dans la belle campagne de Recaş. Achetée par son mari en 2003, la maison est typique: fabriquée en adobe (briques constituées d´argile et de paille hachée), elle dispose de trois chambres, dont deux pour les visiteurs, d´une cuisine d'été et deux débarras. « Elle a été rénovée par des artisans du village. J'ai gardé le four à pain, le fumoir à viandes, en essayant  de rester traditionnel», explique Teodora Borghoff qui tient en respect le chien Bobi, veilleur zélé pas seulement pour les intrus. En outre, lors de la visite de la ferme, qui est roumaine depuis toujours, vous serez surpris de découvrir des « étagères faites par un charpentier anglais », du « plâtre fait par un Australien » ou une cloison « en plessis de Robinier fait par un flamand ». Mais ça a également bien fonctionné pour plusieurs réalisations par des japonais, malaisiens, néerlandais et chinois.

Crédit Photo: Sebastian Tataru

Transformer un ordinateur portable en vache

L'idée d'acheter une ferme est venue à Teodora et à certains de ses amis après l'obtention d´un diplôme. Puis ils ont arrêté de rêver pendant un certain temps et, cherchant quoi faire, ont couru les villes à la recherche d'emplois ou une alternative. Finalement, ils ont choisi l´alternative. Tout en travaillant, son mari à la construction et Teodora, au conseil, les priorités sont devenues plus évidentes. « Je me suis réveillé à un moment donné dans la file d´attente à ... (un magasin d'électronique connu). On était sur le point de payer un ordinateur portable et j'ai pensé: « Avec cet argent on pourrait acheter une vache ! » J'ai redonné la machine, et maintenant j'ai une vache et deux veaux dans l'étable », dit la propriétaire de la ferme.

Actuellement, elle est adepte de concepts tels que l'agriculture biologique et la permaculture. Au jardin et dans la maison, ils travaillent de Février à Octobre, avec 15-20 bénévoles venant de partout dans le monde. Ils sont généralement jeunes, commencent à voyager afin de se trouver et se retrouver. Ils visitent tous les continents, voyagent d'une ferme à l´autre au travers du réseau WWOOF, où les discussions se font directement entre les bénévoles et les producteurs. Le bénévole fournit son temps pour travailler à la ferme, et ses compétences, et la ferme offre un hébergement décent et des repas quotidiens, en plus de propositions de loisirs. À Stanciova, par exemple, il ya des livres afin d´apprendre la culture et la langue roumaine, des jeux de société, mais également des projections de films dans la grange et bien d´autres.

En vélo depuis Galați

Cette année, on compte presque 15 volontaires au début du mois de Juillet. L'un d'eux est venu en vélo depuis Galați (une ville sur le Danube tout à l´est du pays). Il s'appelle Victor, a 27 ans et voyage de ferme en ferme dans toute la Roumanie. Stanciova est la sixième où il s'arrête. «J'ai trouvé sur Internet comment voyager sans argent, et j´ai trouvé ça très intéressant. L'une des suggestions était d'éviter les villes, car là tout fonctionne avec l'argent. Donc, j´ai trouvé cette organisation, l'ai rejoint, envoyé des courriels aux propriétaires de fermes bio et a continué à visiter le pays. Je peux dire que j'ai fait une tournée  « européenne » en Roumanie, parce que les propriétaires de fermes étaient jusqu'à présent néerlandais, français et allemands », témoigne Victor.

Le nombre de personnes qui entre dans la ferme à Stanciova attire évidemment pas beaucoup l'attention de la communauté. « Au début, on était comme des étrangers car nous vivons dans une maison commune. Tout le monde pensait qu´on était une secte. Même ma mère le croyait, mais comme mon mari est spécialiste en relations publiques et travaille à la mairie de Recaş alors les opinions ont évolué » dit Theodora. Enfant de la ville, issue de la génération Y (la « génération pourquoi »), elle redécouvre la vie à la campagne et apprend autant sur les cultures que sur la nature, et transmet avec plaisir à ceux qui s´y intéressent. « Ne vous y trompez pas, nous ne sommes pas missionnaires, et on ne va pas frapper à la porte des gens pour expliquer ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas. Par contre, si quelqu'un veut venir voir ce qu'est la vie ici, et apprendre, il n'y a  aucun problème», ajoute Teodora Borghoff.

Crédit Photo: Sebastian Tataru

Une campagne où les parents redécouvrent l’enfance

La ferme a également reçu trois Canadiens du Québec visité l´Europe en auto-stop. Tous ont environ 20 ans et ont traversé le monde à la suite d'une grève étudiante qui a débuté en Février 2012 jusqu´à fin Octobre. Après quelques jours passés à Stanciova, ils ont dit que la Roumanie est un beau pays avec des gens sympas. Une autre expérience intéressante est celle de Linda, 21 ans. Elle vient pour la quatrième fois en Roumanie : « J'aime ce pays, c´est plus naturel et sauvage ici. L’écovillage Stanciova est mon préféré, et, surtout, j´adore ramasser le foin», dit Linda, tout en retirant les noyaux de cerises pour faire des confitures. Il ya quelques années, la jeune autrichienne a amené sa mère dans les Maramures pour les vacances (une région traditionnelle de montagnes, au nord du pays). « C'était génial, presque irréel car Maman a retrouvé son enfance. Elle regardait autour d´elle et disait sans arrêt : « On avait ça aussi avant ! Et ça aussi ! » » Dit Linda. Dans la cuisine d'été, M. le Chat cherche les ennuis et se fait expulser rapidement dans le jardin. Une fois qu´ils ont terminé la cueillette des cerises, les Canadiens commencent à creuser. Ils s´apprêtent à construire la dalle d´une sorte de terrasse à l'ombre que les volontaires puissent se reposer après le travail lors des chauds après-midis de Stanciova.

Crédit Photo: Sebastian Tataru


Trouver l'écovillage sur la carte:

Le site internet de Stanciova (en anglais):



Monday, July 1, 2013

10.500 ans d’efforts pour rien

10.500 ans d’efforts pour rien

par Paul-Vincent Hubert

Notre génération est témoin d’un événement incroyable. Alors que nous sommes chaque jour sollicités par le progrès, chaque jour nourris et mus par cette notion de croissance, il se produit cependant sous nos yeux un bon en arrière qu’il sera probablement impossible de combler.
Imaginez-vous que depuis presque 10.500 ans, nos ancêtres et leurs parents s’efforcent de domestiquer et échanger graines, noix et semences. Depuis 10.500 ans, soit la fin du dernier épisode glaciaire, nos ancêtres ont vu reculer vers le nord les troupes d’animaux sauvages qu’ils chassaient et suivaient. Afin de compenser ce formidable manque à gagner, ils sont parvenus à trouver dans la nature des variétés comestibles qu’ils pouvaient cultiver et ainsi se constituer des stocks de nourriture pour toute l’année[1].
L’homme a même abandonné le nomadisme et la chasse d’animaux sauvages, affrontant la faim et la sécheresse, pour une série de plantes incroyables qui le nourrissait abondamment. Leurs noms ? L’engrain (appelé aussi le petit épeautre) et l'amidonnier sont les deux plus anciens. Rapidement rejoints par l’orge, le pois chiche, le lin cultivé, les pois, la lentille et la gesse, ces premiers légumes, arrivant de Mésopotamie, Jordanie et Turquie, lui ont permis de survivre en milieu hostile[2].
Ainsi depuis 10.500 ans en Europe, l’homme découvre de nouvelles espèces dans la nature, les cultive, les protège, les échange et contribue ainsi à leur dissémination. Dans chaque région du Vieux-Continent, il a trouvé dans le paysage une succession de plantes qu’il a sélectionnée et développée dans le but de perfectionner et compléter son alimentation. La variété que nous avons aujourd’hui sur les étals de nos marchés vient directement de ces millénaires de travail intense: l'agriculture[3].
Mais aujourd’hui, la recherche incessante de profit et la perversité de notre société a décidé de rendre tout ceci illégal. Aujourd’hui cultiver et échanger ces graines n’est plus autorisé si celles-ci ne figurent pas sur un catalogue mis en place par plusieurs multinationales qui veulent avoir le monopole de l'agriculture, et donc le monopole de la Vie. Viendraient-ils à bout des 10.500 ans d'efforts à rechercher, tester, gouter, planter, attendre, espérer, cultiver, donner, enseigner, partager... pour finalement s'empoisonner?
Réveillons-nous! Agissons!




[1]  Charles L. Redman (1978). Rise of Civilization: From Early Hunters to Urban Society in the Ancient Near East (Essor d’une civilization: Des premiers chasseurs à la société urbaine dans l’ancien Proche Orient). San Francisco, Freeman. ISBN-13: 978-0716700555
[2]  D. Zohary,  M. Hopf,  E.Weiss (2012). Domestication of Plants in the Old World: The origin and spread of domesticated plants in Southwest Asia, Europe, and the Mediterranean Basin (Domestication des Plantes dans le Vieux Monde: Origine et Dissemination des plantes domestiquées en Asie du Sud-Ouest, Europe et Bassin Méditerranéen). Oxford University Press, USA; 4th edition. ISBN-13: 978-0199549061
[3] Michael Machatschek (2004). Nahrhafte Landschaft (Le paysage qui nourrit). Böhlau. ISBN-13: 978-3205771982