Une longue
bataille pour préserver les pratiques agricoles ancestrales (agroécologie)
Louisa
Reynolds du Latinamerica Press (06/09/2013)
Traduit de l’anglais,
recherché et documenté par Paul-Vincent Hubert.
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"Les gouvernements doivent commencer à pratiquer la souveraineté alimentaire et revenir aux politiques qui ont réussi dans le passé à parvenir à l'autosuffisance" (Photo P.Hubert) |
L’agroécologie,
le commerce équitable, la consommation responsable et la protection des
semences indigènes sont quelques-unes des pratiques que les agriculteurs mayas
ont sauvées de leurs ancêtres.
Les agriculteurs
mayas de la chaîne de montagnes Cuchumatanes au nord-ouest du Guatemala savent
que l'agriculture biologique exige beaucoup de travail, de patience et de
dévouement, mais c'est la seule voie vers le développement durable.
En 2006, ces
producteurs ont décidé d'abandonner l'agriculture intensive, délaissant
l'utilisation de pesticides et d'engrais chimiques. Ils ont en effet réalisé
que cela stimule les rendements à court terme en apportant peu d'efforts en apparence mais,
à long terme, pollue les sources d'eau et épuise le sol. Ils fondèrent alors
l'Association pour le développement durable de la Communauté de la Huista
(ADSOSMHU).
La « mancomunidad », ou « Organisation
communautaire» est une association de municipalités qui partagent la même
histoire et la même culture. Elles travaillent ensemble pour mettre en œuvre
des politiques communes et également construire
des projets d'infrastructure bénéficiant à tous les membres.
Les « mancomunidad » ont été
officiellement reconnues par le gouvernement guatémaltèque lorsque le Code
municipal a été approuvé en 2002.
La
mancomunidad Huista est l'une des plus anciennes organisations
communautaires de Guatemala. Elle regroupe sept municipalités situées dans le
département de Huehuetenango : Santa Ana Huista , San Antonio Huista,
Concepción Huista , Nentón, San Miguel Acatán, Unión Cantinil, Jacaltenango et
La Democracia .
Avec l'appui
financier de l'ONG espagnole Paisaje, Ecología y Género (« Paysage, Ecologie et Genre »), l’ADSOSMHU
a construit un centre d’animation où les agriculteurs peuvent acheter des
semences indigènes afin de cultiver maïs, haricots, ou d’autres légumes comme citrouilles,
plantes médicinales, telles que l’aloé,
ou encore champignons. Ils peuvent également apprendre comment prendre soin de
poissons d'aquarium ou comment produire du compost fabriqué à partir de
feuilles en décomposition et de terre, du compost de lombric (appelé encore le « lombricompost »).
La formation à la fabrication d’engrais foliaire à base de feuilles fermentées,
d'eau et de lait de vache y est également enseignée.
Les engrais organiques
La production
d'engrais organique est un processus de longue haleine, le compostage pouvant prendre jusqu'à six mois
et le lombricompostage jusqu’à deux mois et demi. En revanche, la création d’engrais
foliaire, méthode la plus rapide, nécessite un mois maximum.
«Quand la Révolution verte a commencé dans les années 1950 et 1960, les
agriculteurs ont commencé à utiliser des produits agrochimiques que nous avons
été amenés à croire être la solution à tous nos problèmes. En utilisant des
pesticides chimiques, les agriculteurs pouvaient travailler 120 mètres carrés par
jour au lieu de 20 mètres carrés en cinq jours de techniques agricoles
ancestrales», explique Rubén López Herrera, coordinateur du ADSOSMHU.
« Au début, l’agroécologie exige beaucoup d'efforts, de patience et de
dévouement. C'est pourquoi les femmes ont été les plus réceptives à l'idée.
Nous avons obtenu des résultats après deux ou trois ans seulement, mais à
partir de ce moment, les rendements deviennent plus élevés que ce que nous
avions avant avec des produits agrochimiques. En plus, le sol récupère ses
nutriments et en plus d’avoir une couleur différente, nos produits ont un goût
et une texture qui n’a rien à voir » ajoute-il. Les
membres de l’ADSOSMHU consomment la plupart de ce qu'ils produisent et l’excédent
est vendu sur les marchés du coin.
López
souligne que l'agroécologie n’est rien de nouveau. Elle a été effectivement
pratiquée par les paysans mayas depuis l'époque précolombienne, affirmation prouvée
par la recherche académique [1]
(Altieri & Nicholls, 2000).
Stephen Gliessman,
professeur d’agroécologie à l'Université de Californie, a notamment écrit un
certain nombre d'articles dans lesquels il explique comment les Mayas furent les
premiers à pratiquer l'ingénierie écologique. Comme ils n'avaient pas de
technologie pour atteindre les eaux souterraines, ils construisirent des canaux
de drainage pour rediriger et réutiliser l'eau de pluie. Ils convertirent ainsi
des marécages temporaires, connus aujourd'hui sous le nom de « Bajos »,
en de grands domaines agricoles. Ils mirent également en place un système de
terrasses agricoles, de réservoirs d’eau ainsi que des cultures surélevées et de
jardins urbains [2] (Gliessman,
1991).
L’ADSOSMHU
est l'un des 60 groupements paysans qui appartient au réseau national pour la
défense de la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire au Guatemala (le
REDSSAG), un organisme national fondé en 2004 qui vise à promouvoir l'agroécologie,
le commerce équitable, la consommation responsable et la protection des
semences indigènes d’Amérique Latine.
En 2011, l’ADSOSMHU
reçut la récompense « Chajil Uwachulew » (« Défenseur de la Nature») par le Ministère de l’Environnement et des Ressources
Naturelles guatémaltèque (« MARN ») pour ses efforts visant à
préserver les semences natives. Cependant, López souligne que malgré ce trophée
symbolique, l’ADSOSMHU n'a jamais reçu aucun soutien du gouvernement.
«Beaucoup de choses restantes doivent être faites. Nous aimerions mener une
enquête approfondie nous permettant de récupérer le maïs indigène et les
graines de soja. Nous aimerions également recevoir l'appui de techniciens
agricoles afin de pouvoir améliorer nos cultures, mais ils (le gouvernement)
sont très bureaucratiques » explique Lopez.
Le
coordinateur du REDSSAG, Ronnie Palacios cite plusieurs projets réussis au Brésil,
au Venezuela et dans d'autres pays d'Amérique du Sud comme preuve que
l'agroécologie fonctionne bien. Palacios prétend que ce modèle pourrait aider
le Guatemala à réduire sa dépendance face aux importations de maïs et de blé. L’agroécologie pourrait
également stimuler l'autosuffisance, favoriser
l'emploi dans les zones rurales et réduire l'afflux de paysans pauvres qui
migrent vers les zones urbaines ou aux États-Unis à la recherche de meilleures
conditions de vie. Malheureusement, Palacios affirme que le gouvernement n’a
montré jusqu'à présent que peu voire aucun intérêt à soutenir les pratiques
agroécologiques mayas.
« Il est nécessaire de donner la priorité aux agriculteurs de
subsistance et à ceux qui vivent au-dessous du niveau de subsistance. Il faut
également développer des mécanismes pour échanger des informations et effectuer
des recherches scientifiques. Malheureusement, il n'y a pas de soutien. Nous
avons demandé de l'aide à l'Institut des sciences et technologies agricoles (ICTA),
mais ils ont refusé de lancer un projet de recherche. Le ministère de l’Agriculture,
de l'Elevage et de l'Alimentation (MAGA) a un programme de verger familial que nous
avons proposé d’inclure dans la production agroécologique, mais ils rejeté la
proposition », raconte Palacios.
Ronnie
Palacios affirme que des « intérêts économiques » peuvent expliquer la réticence
du gouvernement à arrêter de prêcher les engrais chimiques et aider les
agriculteurs à relancer le modèle agroécologique des Mayas. Cette remarque apparait
logique lorsqu’on sait que la multinationale Disagro et d'autres grands
producteurs agrochimiques ont été les principaux donateurs de la campagne
électorale de ces dernières années.
Le mouvement « Campesino a Campesino »
Eric Holt-Giménez
est directeur général de Food First, une organisation à but non lucratif
américaine dont l'objectif principal est de forger la souveraineté alimentaire
pour les droits de l'homme et des moyens de subsistance durables. Il explique
que durant les années 1970, les agriculteurs mayas qui s'étaient lourdement
endettés pour acheter la technologie de la Révolution verte ont été contraints
de migrer vers les plantations de café, de sucre et de bananes, où ils gagnèrent
des salaires de misère et durent vendre
leur travail dévalué afin de rembourser leurs prêts.
Malgré tout,
un agriculteur du département de
Chimaltenango (50 kilomètres à l'ouest de Guatemala City) a commencé à
expérimenter les techniques de l'agriculture biologique et a réalisé qu'il
pouvait augmenter son rendement de près de 400 pour cent. D'autres agriculteurs
ont cherché à suivre son exemple et ont commencé à recourir aux pratiques
ancestrales mayas, les transmettant ensuite d’un agriculteur à un autre. Les
agriculteurs qui ont enseigné à d'autres agriculteurs étaient connus comme « promotores campesinos » ou « paysans
promoteurs ». Cette chaîne de (ré) apprentissage a ainsi marqué le début d'un mouvement connu sous le
nom « Campesino a Campesino », qui
s'est propagé rapidement à travers le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua.
«Les
agriculteurs ont mis en place des coopératives pour vendre leurs produits et
ont cessé d'aller sur la côte pour travailler dans les plantations. Dans les
années 1970 et 1980, ils ont eu tellement de succès qu'ils ont commencé à
acheter les terres des propriétaires de plantations. Ces derniers ont commencé
à les confondre à des communistes et ont fait appel à l'armée, pour fuir
ensuite au Mexique où ils ont par la suite détruit la paysannerie là-bas», raconte
Holt-Giménez.
Le mouvement
« Campesino
a Campesino » s’est ensuite amenuisé à la suite des sanglantes guerres
civiles d'Amérique centrale à l'époque de la guerre froide, bien que les ONG
locales telles que l’ADSOSMHU cherchent aujourd’hui à donner un nouvel élan à
ces pratiques ancestrales.
Selon l’étude
«Mesurer la résistance agroécologique des
agriculteurs après l'ouragan Mitch en Amérique centrale», menée en 2000 par le « World
Neighbors », un organisme de développement international qui travaille
avec des communautés extrêmement pauvres qui luttent pour survivre,
aujourd'hui, moins de 0,5% des quatre millions de petits producteurs de
la région pratiquent l’agroécologie [3]
(Holt-Giménez, 2000).
Les
pratiques durables les plus couramment utilisées sont le labour intensif en sillons,
l'utilisation de compost, la lombriculture et le fumier, ainsi que des
stratégies de gestion intégrée des ravageurs incluant l'utilisation de pièges,
de pesticides et répulsifs biologiques, et le recours à des insectes bénéfiques
(comme la Coccinelle ou la Larve de Chrysope pour les pucerons…).
Les
agriculteurs eux-mêmes, dirigés par Holt-Giménez, ont effectué les recherches
et ont trouvé que les parcelles agroécologiques dans les exploitations
agricoles durables avaient plus de terre arable, une humidité plus élevée dans
le sol, et plus de végétation. Pour comprendre la signification de cela, après
l'ouragan Mitch qui a frappé l'Amérique centrale en 1998, les terrains
agroécologiques avaient 49% de glissements de terrain en moins, en moyenne 47% d'érosion
en moins ; et 69% de ravinement que les parcelles conventionnelles (Holt-Giménez,
2000).
«C'est la diversification des cultures et l'agroforesterie qui a rendu le
système résilient et lui a permis de résister aux changements climatiques.
Cependant, les gouvernements ne prennent pas en charge l'agriculture paysanne
et cela a empiré en raison des accords de libre-échange visant à expulser les
agriculteurs de leurs terres et ouvrir l'Amérique latine aux investissements
étrangers. Les gouvernements doivent commencer à pratiquer la souveraineté
alimentaire et revenir aux politiques qui ont réussi dans le passé à parvenir à
l'autosuffisance », conclut Eric Holt-Giménez.
[1] M. Altieri & C.I. Nicholls (2000):
Agroecologia: Teoría y práctica para una agricultura sustentable. « Agroécologie:
Théorie et Pratique pour une agriculture soutenable ». 1 Edición. Programa
de las Naciones Unidas para el Medio Ambiente. 2000. México
D.F., México. p.220. ISBN 968-7913-04-X . www.agro.unc.edu.ar/~biblio/AGROECOLOGIA2[1].pdf
[2] S.R. Gliessman (1991): Ecological
basis of traditional management of wetlands in tropical Mexico: Learning from
agroecosystem models: “Fondement écologique de la gestion traditionnelle des
marécages du Mexique tropical: Apprendre des modèles agroécologiques”. In:
Oldfield, M. and J. Alcorn (eds.), Biodiversity, Traditional Management, and
Development of Biological Resources. Westview Press, Boulder, CO. pp. 211-229.
[3] Eric Holt-Giménez (2000):
Measuring farmers' agroecological resistance to Hurricane Mitch. World
Neighbors, January, 2000. www.agroecology.org/documents/Eric/synopsis.pdf
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