10.500 ans d’efforts pour rien
par Paul-Vincent Hubert
Notre génération est témoin d’un événement incroyable. Alors que nous sommes chaque jour sollicités par le progrès, chaque jour nourris et mus par cette notion de croissance, il se produit cependant sous nos yeux un bon en arrière qu’il sera probablement impossible de combler.
Notre génération est témoin d’un événement incroyable. Alors que nous sommes chaque jour sollicités par le progrès, chaque jour nourris et mus par cette notion de croissance, il se produit cependant sous nos yeux un bon en arrière qu’il sera probablement impossible de combler.
Imaginez-vous
que depuis presque 10.500 ans, nos ancêtres et leurs parents s’efforcent de domestiquer
et échanger graines, noix et semences. Depuis 10.500 ans, soit la fin du
dernier épisode glaciaire, nos ancêtres ont vu reculer vers le nord les troupes
d’animaux sauvages qu’ils chassaient et suivaient. Afin de compenser ce formidable
manque à gagner, ils sont parvenus à trouver dans la nature des variétés
comestibles qu’ils pouvaient cultiver et ainsi se constituer des stocks de
nourriture pour toute l’année[1].
L’homme
a même abandonné le nomadisme et la chasse d’animaux sauvages, affrontant la
faim et la sécheresse, pour une série de plantes incroyables qui le nourrissait
abondamment. Leurs noms ? L’engrain (appelé aussi le petit épeautre) et l'amidonnier
sont les deux plus anciens. Rapidement rejoints par l’orge, le pois chiche, le
lin cultivé, les pois, la
lentille et la gesse, ces premiers légumes, arrivant de Mésopotamie, Jordanie
et Turquie, lui ont permis de survivre en milieu hostile[2].
Ainsi
depuis 10.500 ans en Europe, l’homme découvre de nouvelles espèces dans la
nature, les cultive, les protège, les échange et contribue ainsi à leur
dissémination. Dans chaque région du Vieux-Continent, il a trouvé dans le
paysage une succession de plantes qu’il a sélectionnée et développée dans le
but de perfectionner et compléter son alimentation. La variété que nous avons
aujourd’hui sur les étals de nos marchés vient directement de ces millénaires de
travail intense: l'agriculture[3].
Mais
aujourd’hui, la recherche incessante de profit et la perversité de notre
société a décidé de rendre tout ceci illégal. Aujourd’hui cultiver et échanger
ces graines n’est plus autorisé si celles-ci ne figurent pas sur un catalogue mis en place par plusieurs multinationales qui veulent avoir le monopole de l'agriculture, et donc le monopole de la Vie. Viendraient-ils à bout des 10.500 ans d'efforts à rechercher, tester, gouter, planter, attendre, espérer, cultiver, donner, enseigner, partager... pour finalement s'empoisonner?
Réveillons-nous! Agissons!
[1] Charles L. Redman (1978). Rise of Civilization: From
Early Hunters to Urban Society in the Ancient Near East
(Essor d’une civilization: Des premiers chasseurs à la société urbaine dans l’ancien
Proche Orient). San Francisco, Freeman. ISBN-13: 978-0716700555
[2] D. Zohary, M. Hopf, E.Weiss (2012). Domestication of Plants in the Old World: The
origin and spread of domesticated plants in Southwest Asia, Europe, and the
Mediterranean Basin (Domestication des Plantes dans le Vieux Monde: Origine et Dissemination
des plantes domestiquées en Asie du Sud-Ouest, Europe et Bassin Méditerranéen).
Oxford University Press, USA; 4th edition. ISBN-13: 978-0199549061
[3] Michael
Machatschek (2004). Nahrhafte Landschaft (Le paysage qui nourrit). Böhlau.
ISBN-13: 978-3205771982
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