Monday, July 1, 2013

10.500 ans d’efforts pour rien

10.500 ans d’efforts pour rien

par Paul-Vincent Hubert

Notre génération est témoin d’un événement incroyable. Alors que nous sommes chaque jour sollicités par le progrès, chaque jour nourris et mus par cette notion de croissance, il se produit cependant sous nos yeux un bon en arrière qu’il sera probablement impossible de combler.
Imaginez-vous que depuis presque 10.500 ans, nos ancêtres et leurs parents s’efforcent de domestiquer et échanger graines, noix et semences. Depuis 10.500 ans, soit la fin du dernier épisode glaciaire, nos ancêtres ont vu reculer vers le nord les troupes d’animaux sauvages qu’ils chassaient et suivaient. Afin de compenser ce formidable manque à gagner, ils sont parvenus à trouver dans la nature des variétés comestibles qu’ils pouvaient cultiver et ainsi se constituer des stocks de nourriture pour toute l’année[1].
L’homme a même abandonné le nomadisme et la chasse d’animaux sauvages, affrontant la faim et la sécheresse, pour une série de plantes incroyables qui le nourrissait abondamment. Leurs noms ? L’engrain (appelé aussi le petit épeautre) et l'amidonnier sont les deux plus anciens. Rapidement rejoints par l’orge, le pois chiche, le lin cultivé, les pois, la lentille et la gesse, ces premiers légumes, arrivant de Mésopotamie, Jordanie et Turquie, lui ont permis de survivre en milieu hostile[2].
Ainsi depuis 10.500 ans en Europe, l’homme découvre de nouvelles espèces dans la nature, les cultive, les protège, les échange et contribue ainsi à leur dissémination. Dans chaque région du Vieux-Continent, il a trouvé dans le paysage une succession de plantes qu’il a sélectionnée et développée dans le but de perfectionner et compléter son alimentation. La variété que nous avons aujourd’hui sur les étals de nos marchés vient directement de ces millénaires de travail intense: l'agriculture[3].
Mais aujourd’hui, la recherche incessante de profit et la perversité de notre société a décidé de rendre tout ceci illégal. Aujourd’hui cultiver et échanger ces graines n’est plus autorisé si celles-ci ne figurent pas sur un catalogue mis en place par plusieurs multinationales qui veulent avoir le monopole de l'agriculture, et donc le monopole de la Vie. Viendraient-ils à bout des 10.500 ans d'efforts à rechercher, tester, gouter, planter, attendre, espérer, cultiver, donner, enseigner, partager... pour finalement s'empoisonner?
Réveillons-nous! Agissons!




[1]  Charles L. Redman (1978). Rise of Civilization: From Early Hunters to Urban Society in the Ancient Near East (Essor d’une civilization: Des premiers chasseurs à la société urbaine dans l’ancien Proche Orient). San Francisco, Freeman. ISBN-13: 978-0716700555
[2]  D. Zohary,  M. Hopf,  E.Weiss (2012). Domestication of Plants in the Old World: The origin and spread of domesticated plants in Southwest Asia, Europe, and the Mediterranean Basin (Domestication des Plantes dans le Vieux Monde: Origine et Dissemination des plantes domestiquées en Asie du Sud-Ouest, Europe et Bassin Méditerranéen). Oxford University Press, USA; 4th edition. ISBN-13: 978-0199549061
[3] Michael Machatschek (2004). Nahrhafte Landschaft (Le paysage qui nourrit). Böhlau. ISBN-13: 978-3205771982

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